Les habitants de L’Isle de Jean-Charles premiers réfugiés climatiques aux États-Unis ?
Alors que la lumière orangée frise encore le sol, l’autobus scolaire s’arrête un instant au bord de la route étroite. Les élèves y montent puis le bus repart vers sa destination, l’école élémentaire de Pointe-au-Chien.
Le chemin, un bras de terre de quelques mètres de largeur, est souvent inondé, mais c’est le seul moyen de se rendre à l’école de la petite île. Au loin, une installation d’une compagnie pétrolière rappelle que ces voyages quotidiens sont condamnés. Tôt ou tard, c’est toute l’île qui disparaîtra faisant de ses habitants les premiers réfugiés climatiques américains.
Marie-France Coallier, photojournaliste pour le journal Le Devoir, a été envoyée afin de couvrir trois histoires en Louisiane, aux États-Unis. L’une d’elles traitait de l’impact des changements climatique sur l’Ile de Jean-Charles et sa communauté.
Un panneau No Trespassing (aucune intrusion) émerge de l’océan, près d’Island Road sur l’Isle de Jean-Charles, en Louisiane. La pancarte signale un passage de gazoduc appartenant à Apache Louisiana Minerals Houma, une société qui explore, développe et produit du gaz naturel, du pétrole brut et des liquides de gaz naturel en creusant des canaux et en installant des pipelines dans le golfe du Mexique.
Des oiseaux se perchent sur un arbre mort à l’Isle de Jean-Charles. Les canaux d’eau douce se mélangent avec les eaux salines de la mer à cause de la montée des eaux et par conséquent fragilisent les écosystèmes.
Un autochtone, Donald Dardar, de Pointe-au-Chien, paroisse de Terrebonne en Louisiane, navigue près de l’installation pétrolière et gazière de la compagnie Desco Oil dans le Bayou Jean Lacroix où ils creusent des canaux. L’exploitation pétrolière contribue à éroder les terres.
Sur l’Isle de Jean-Charles, Tristan, 6 ans, carabine-jouet à la main, traverse en courant un ponceau de bois vers sa maison. Une poignée d’enfants seulement demeure sur l’île avec leur famille. Tristan habite avec sa famille réunissant quatre générations dans deux maisons côte à côte de l’autre côté du bayou. Il fait partie des autochtones francophones, la bande Biloxi-Chitimacha-Choctaw.
Ce tronçon de terre située dans les bayous de la paroisse de Terrebonne Sud au large de la Louisiane est la demeure de la tribu Biloxi-Chitimacha-Choctaw. Cette dernière a fait de ces lieux son territoire après y avoir été déplacée à cause des politiques de le Indian Removal Act. Proposée par le président Andrew Jackson en 1830, cette loi ordonnait l’expulsion au-delà du Mississippi de 60 000 Amérindiens qui vivaient entre les treize États fondateurs et ce même fleuve.
Depuis sa déportation, la tribu francophone s’est réapproprié ces quelques kilomètres émergés,
a investi ces terres et les a cultivées.
Aujourd’hui leur territoire s’enfonce dans la mer, disparaissant sous leurs yeux. L’île est menacée par de nombreux problèmes environnementaux. L’érosion côtière, le manque de renouvellement du sol et l’intrusion d’eau salée dans les nappes phréatiques causée par le dragage par des compagnies pétrolières et gazières sont tous des facteurs menaçants la survie des lieux.
En somme, l’archipel de la Louisiane perd chaque heure l’équivalent d’un terrain de football sous les eaux. Mais l’île de Jean-Charles est l’une des plus à risque. Déjà, plusieurs habitants ont quitté l’île, fatigué des inondations annuelles et des ouragans. En 1955, ils étaient environ trois cents à y vivre, aujourd’hui ils ne sont plus qu’une quarantaine.
Theresa Dardar et son mari Donald sont des autochtones de la communauté de Pointe-aux-Chênes, voisine de l’Isle de Jean-Charles. À bord de leur embarcation, ils rendent visite aux chevaux du frère de Donald aux abords des canaux. Les animaux comme les humains sont affectés par la montée des eaux. Près de l’Isle de Jean-Charles, il y avait autrefois de la terre ou des îles. « Il y a des endroits où le GPS nous dit que c’est une île et, maintenant, on est là en bateau en train de pêcher la crevette », dit Theresa Dardar.
Le plan de relocalisation proposé par le gouvernement ne fait pas l’affaire du chef de la bande Biloxi-Chitimacha-Choctaw, Albert Naquin, photographié devant un camp de pêche sur l’île, qui conseille à ses membres de ne pas accepter le « forfait ». D’abord, il souhaiterait que le plan soit un projet de réunification de la bande. Cette communauté a déjà été lourdement touchée par les politiques américaines à l’égard des Autochtones. Le chef Naquin lui-même ne vit pourtant plus sur l’île depuis longtemps, mais bien dans la communauté voisine de Pointe-aux-Chênes, protégée par une toute nouvelle digue de 12 pieds. La maison familiale, où il est né, a été rasée par l’ouragan Betsy en 1965 et le chef a décidé de déménager à Pointe-aux-Chênes après l’ouragan Carmen, en 1973. « Si j’étais resté sur l’île, je serais probablement pauvre, parce qu’il faut tout refaire tous les trois ou quatre ans », raconte-t-il.
A tous les jours, Edison Dardar, 70 ans, se rend à l’aube en bicyclette pêcher le poisson ou le crabe. Il est l’un des insulaires qui ne veut pas quitter l’ ile. Il se lave les mains après avoir attrapé une prise. Personne ne sait quand l’Isle de Jean Charles partira. Seul Dieu le sait « , a déclaré Dardar. » Son grand-père a été enterré sur l ile, mon père aussi. On est ici depuis très très longtemps. Je fais la même chose que lorsque j’avais dix ans, on rit, on discute, on pêche le crabe et la crevette. Ici c’est ma maison. »
Les maisons sur l‘île sont montées sur pilotis pour lutter contre la montée des eaux. Plusieurs d’entre elles ont un accès par des ponceaux qui traversent les bayous. Les arbres meurent à cause de l’infiltration de l’eau de mer dans la nappe phréatique.
Comme l’explique Marie-France, la situation est tellement précaire que l’État a proposé de déplacer les habitants : « Il y a eu un plan de relocalisation qui a été fait par l’état de la Louisiane pour leur permettre d’aller vivre un peu plus au nord, dans la ville de Houma. Mais ils sont nombreux à résister. Le chef de la tribu veut empêcher de disséminer la population à travers le sud de Louisiane. Je pense que l’on veut vraiment préserver leur héritage, leur culture et leur tradition ».
Si l’île de Jean-Charles est un précurseur aux États-Unis, le phénomène des réfugiés climatiques est destiné à prendre de l’ampleur. Selon la Banque Mondiale, d’ici 2050, 143 millions de personnes pourraient être forcées de se relocaliser en raison de la montée des eaux partout dans le monde.
Une digue est érigée pour réduite la montée et la pénétration de l’ eau salée à l’ intérieur des canaux d ‘eau douce
À l’aube, un bus scolaire vient d’embarquer les quelques enfants qui demeurent sur l’ile pour se diriger à l’école élémentaire de Pointe-au-Chien. À droite de la route, une installation de la compagnie pétrolière qui creuse des canaux pour un grand pipeline, ce qui perturbe l’équilibre du sel et de l’eau douce dans la région. La route de l’île est parfois sous l’eau. Mais c’est la seule qui relie l’Isle de Jean-Charles à Pointe-au-Chien. Si la route est emportée par les ouragans, comme cela a été le cas par le passé, l’État ne la reconstruira probablement pas, car la plupart des projections montrent que l’île sera inhabitable dans un avenir proche.
Marie-France Coallier est une photojournaliste basée à Montréal.
Passionnée par le genre humain, sa quête est de retracer l’authenticité à travers les regards des autres.
Diplômée en Communications et Photographie à l’Université d’Ottawa, son travail a été publié dans plusieurs journaux : Journal de Montréal, Magazine Voir, Montreal Daily News, Toronto Star, Montreal Gazette pendant une vingtaine d’années et Le Devoir.
Ses photos ont fait partie d’une exposition collective à Expo World Press Photo Montréal, en 2010 et au projet Photosensitive sur la pauvreté chez les enfants au Canada en 2001.
Son travail a été reconnu au Prix Antoine-Desilets, au Prix Focus Desjardins en 2019, à l’Association des Photographes de Presse du Canada 2019 et 2020 et au Siena International Photo Awards 2019 et 2020.
Alexis Aubin
Alexis Aubin a étudié les communications à l’UdeM et la photographie au collège Marsan. Que ce soit comme photojournaliste ou en tant que communicateur pour des organismes humanitaires, il utilise les médias afin de sensibiliser et informer sur les défis auxquels nous devons faire face collectivement.