Chaque année, des milliers de Népalais s’affairent pendant plusieurs mois à la cueillette du « yarsagumba » aussi appelé « champignon chenille ». Ce produit est composé d’un mycélium qui parasite les larves de papillons de nuit vivant dans le sol himalayen à des altitudes supérieures à 3000 mètres. Le champignon tue et momifie la chenille puis un stroma pousse à partir de la tête de celle-ci, assurant le cycle de reproduction.
Les yarsagumbas sont utilisés par la médecine traditionnelle chinoise pour leurs vertus aphrodisiaques. Ils sont devenus populaires auprès du grand public en 1993 après que deux Olympiennes aient attribué leurs records du monde de cours de fond à l’entrainement en altitude et à la consommation des « champignons chenilles ».
De là, l’augmentation de la demande en Chine a créé de nouvelles opportunités économiques pour les populations népalaises. Un profond engouement pour la cueillette est apparu comme une ruée vers l’or des temps modernes. Si certains ont réussi à s’enrichir au cours des dernières années, le futur semble moins prometteur.
La surcueillette et les changements climatiques nuisent à la reproduction de l’espèce. Les quantités de yarsagumba ne cessent de diminuer chaque saison au point ou la ressource risque de s’épuiser.
C’est aussi l’ensemble d’un mode de vie ancestrale qui a été ébranlé. Des villages entiers qui étaient alors autosuffisants sont devenus dépendants d’une ressource qui est consommée uniquement à l’étranger.
Comme l’explique Maude Plante-Husaruk, qui a documenté la période des récoltes pendant plusieurs semaines, l’intégration au marché mondial et l’arrivée d’importants capitaux dans les communautés ont bouleversé l’ensemble de l’organisation collective : « Ce sont des régions qui étaient complètement déconnectées des réseaux routiers et aériens. Puis tout d’un coup, on y a injecté de l’argent qui a profondément changé la structure économique. Cela a eu un effet de ricochet et affecté plusieurs aspects culturels et sociaux. On n’achète plus des biens produits sur place. On devient dépendant d’un autre mode de vie. On veut faire partie de ce nouveau contexte mondialisé, de la modernisation de la vie, alors que les ressources ne sont pas vraiment là. On doit donc les importer.
En ce sens, les dynamiques qui se mobilisent autour des yarsagumbas mettent en exergue les rapports de forces qui régissent les marchés mondiaux.
Toujours selon Maude Plante-Husaruk : « Ce qui m’a interpellé c’est l’immense disparité socio-économique entre les cueilleurs, les marchands népalais, les commerçants chinois et les consommateurs. On est littéralement aux deux pôles socio-économiques. La disparité ne pourrait pas être plus importante que cela. […] La ressource est tellement chère, l’once est vendue entre mille et deux mille dollars américains. Ça met en lumière les dynamiques d’une économie capitaliste mondialisée où les personnes à la base de la production sont assujetties aux lois de l’offre et de la demande mondialisées et complètement déconnectées de leur réalité. »
Maude Plante-Husaruk est une photographe et réalisatrice documentaire canadienne s'intéressant aux réalités des populations recluses ou marginalisées, sensible à la résilience de l’humain devant l’adversité. Interpellée depuis dix ans par les cultures isolées du sous-continent indien et d'Asie centrale, elle met en image des histoires inspirantes et profondément humaines, espérant sensibiliser les gens aux dénominateurs communs qui pavent notre existence et détiennent un pouvoir rassembleur. Motivée par le désir d'approfondir la maîtrise de son art, Maude continue de travailler sur plusieurs projets long terme dans la région.
Alexis Aubin
Alexis Aubin a étudié les communications à l’UdeM et la photographie au collège Marsan. Que ce soit comme photojournaliste ou en tant que communicateur pour des organismes humanitaires, il utilise les médias afin de sensibiliser et informer sur les défis auxquels nous devons faire face collectivement.